Tuesday 3 May 2011

J'ai assisté à l'Assemblée Générale de Nokia

Je ne vous l'ai probablement jamais dit, mais Mr Ours travaille dans une banque, où il fait des choses tellement compliquées qu'il n'a jamais pu me les expliquer clairement.  Il a par conséquent un certain intérêt pour les choses de l'argent tels que les placements, investissements et autres (et là on se complète bien parce qu'en ce qui me concerne, j'ai déjà du mal à rendre visite à mon compte en banque une fois par mois). Du coup, il s'est chargé de placer nos économies et, en bon Finlandais, il a acquis en mon nom et au sien quelques actions chez Nokia.

L'autre jour, il m'a appris que nous avions reçu des invitations pour l'Assemblée Générale des actionnaires. Ca tombait un jour où j'avais du temps libre, alors je lui ai proposé qu'on y aille ensemble, par curiosité ; ce n'est pas avec notre maigre participation qu'on décidera de l'avenir de l'entreprise, mais j'étais très curieuse de savoir comment ça se passait.  J'en profite pour vous offrir un petit compte-rendu de genre "touriste" de la grand-messe des téléphones !

Pour les non-initiés, qu'est-ce qu'une Assemblée Générale ?  Il s'agit tout simplement d'une réunion annuelle des actionnaires.  Les actionnaires sont ceux qui possèdent des parts de la société, et donc qui lui prêtent de l'argent en espérant que la société fera des bénéfices dont elle lui reversera une partie sous forme de dividendes, et que la société augmentera sa valeur ce qui augmentera la valeur des parts qu'ils détiennent. L'Assemblée Générale a quelques pouvoirs, notamment celui d'approuver quelques grosses décisions (la distribution des dividendes ou les comptes annuels par exemple) et d'élire le Conseil d'Administration.  Ce dernier supervise le fonctionnement de la société, et c'est à lui que le président-directeur général doit rendre des comptes sur sa gestion.

Donc en gros, le but de l'Assemblée Générale, c'est de permettre à tous les actionnaires de rencontrer l'équipe de gestion de l'entreprise qui doit s'expliquer sur les choix faits et les décisions prises, ainsi que demander la permission de faire un truc ou l'autre.  Si les actionnaires trouvent que la société est manifestement mal gérée, ils peuvent carrément virer le Conseil d'Administration à l'occasion de l'Assemblée Générale, mais en pratique c'est plutôt une formalité essentielle dans le fonctionnement d'une entreprise.

L'AG de cette année promettait d'être particulièrement intéressante, étant donné que Nokia se trouve à un tournant de son histoire.  Après avoir fait des bénéfices impressionnants à la fin des années '90, Nokia a raté le train des smartphones et le paie amèrement en parts de marché et en bénéfices depuis quelques années.  Leurs téléphones n'ont pas pu faire face à la concurrence d'Apple ou, plus récemment, d'Android, et leur système d'exploitation Symbian n'a pas réussi à séduire.  Leur action n'a plus maintenant que 10% de sa valeur d'il y a quelques années. Après une période catastrophique, ils se sont décidés en septembre dernier à engager leur premier PDG non finlandais, qui les a illico presto engagé dans une stratégie de collaboration avec Microsoft dont ils utiliseront les softwares.  Ceci s'accompagne évidemment de nombreux licenciements au sein de l'équipe de développement de Symbian - 4000 postes perdus, dont 1400 en Finlande. Un énorme chamboulement pour l'entreprise et pour le pays, une stratégie cruciale qui doit déterminer si l'entreprise continue sa longue glissade ou si elle remonte la pente.

Nous voilà donc, Mr Ours et moi, sur le chemin de l'Assemblée Générale qui avait lieu cet après-midi à 15h.  Il a auparavant inscrit notre présence sur internet et nous avons reçu par la poste un courrier avec des petits bouts de papier représentant le nombre de parts que nous possédons l'un et l'autre.  Ce papier est notre sésame pour entrer dans le grand centre de conférence où a lieu l'AG. Il est évident qu'avec une entreprise de la taille de Nokia, ce ne sera pas une petite discussion entre amis, mais une réunion de plusieurs milliers de personnes qui aura lieu.

Dès le départ, on sent l'ambiance formelle :  des gardes en veste rouge nous ouvrent les portes, des stewards vérifient nos papiers, prennent notre veste, nous distribuent les documents nécessaires et des sacs où se trouvent des écouteurs pour suivre la traduction simultanée des débats.  J'ai compris que ça risquait de durer un peu quand j'ai vu qu'on recevait aussi des petites bouteilles d'eau...  Ensuite il a fallu se trouver une place dans le gros amphithéâtre bondé - j'ai appris plus tard qu'on était plus de 3000 présents, un record.  Au-dessus de nos têtes, de grands écrans diffusaient soit les powerpoints accompagnant les discours et les différents points à l'ordre du jour, soit la tête des intervenants que l'on voyait à peine d'aussi haut.

Au premier rang étaient assis les principaux directeurs de Nokia et, j'imagine, les membres du conseil d'administration.  Tout le reste c'étaient des actionnaires (et je suppose quelques journalistes).  Avant d'y aller, je m'imaginais que la plupart des actionnaires présents seraient des investisseurs professionnels ou des représentants de banques qui exerçaient les droits de leurs clients. J'ai donc été assez surprise de découvrir autour de moi des tas de gens ordinaires, donc beaucoup de retraités.  En fait, j'ai appris plus tard que les gros actionnaires n'étaient pas présents et qu'ils avaient déjà accepté toutes les propositions présentées par le Conseil d'Administration. Etant donné que les gros actionnaires en question possèdent plus de 80% des parts, l'affaire était réglée et l'Assemblée Générale en question n'était plus qu'une formalité.  Nous n'avons d'ailleurs pas eu l'occasion de voter.

Alors, à quoi bon ?  En fait, c'était tout simplement l'occasion pour les petits actionnaires de rencontrer l'équipe dirigeante, d'écouter la présentation du PDG concernant la stratégie qu'il mettait en place, de poser les questions qui les inquiétaient et, à l'occasion, de faire part de leur mécontentement. Le grand moment a donc été le discours de Stephen Elop, le "nouveau" président-directeur général.  Après la séance de questions-réponses qui a suivi, une grande partie de l'audience a d'ailleurs quitté la salle.

En pratique, comment ça s'est passé ? L'agenda divisait la séance en plusieurs points.

1. Ouverture de l'AG.  
Le discours d'ouverture a été donné par Jorma Olilla, le président du Conseil d'Administration qui a été PDG de 1999 à 2006. Etant donné que c'est sous sa présidence que le déclin de Nokia a commencé, il a dans la suite de la réunion dû faire face à quelques remarques acerbes d'actionnaires mécontents...  

2. Organisation de l'AG
Olilla a proposé un candidat pour gérer les discussions (j'ignore le terme exact : président de séance ?), un juriste qui a commencé par expliquer le fonctionnement de la réunion.  Il nous a expliqué le fonctionnement des écouteurs pour la traduction ; Nokia étant une compagnie finlandaise mais dont la langue de travail est l'anglais, l'AG s'est déroulée en finnois et en anglais, suivant la langue de l'interlocuteur.  La traduction simultanée était disponible en finnois, suédois et anglais.  

On nous a aussi expliqué le fonctionnement du vote : les petits papiers reprenant le nombre de nos parts à chacun devaient servir de bulletin de vote à mettre dans l'urne si on devait recourir à un vote anonyme, ce qui n'a pas été le cas.  Dans le cas où le président de séance pouvait évaluer qu'une majorité de participants étaient d'une certaine opinion, il n'y avait pas besoin d'organiser un vote et on pouvait se contenter d'enregistrer les noms des actionnaires qui n'étaient pas d'accord avec la motion. C'est cette possibilité qui a été utilisée, vu les 80% d'actionnaires qui avaient déjà voté.

Enfin, le président de séance nous a expliqué le système utilisé pour prendre la parole : une vingtaine de stewards étaient répartis dans la salle avec chacun un micro et un panneau avec un numéro éclairé. Chaque personne qui souhaitait intervenir devait se faire connaître au steward de son secteur qui levait alors son numéro pour attirer l'attention du président de séance, lequel leur accordait la parole secteur par secteur.  Ingénieux comme système !

3. Election des personnes pour confirmer les minutes et pour vérifier le compte des votes
Ce fut vite fait : un actionnaire a proposé quatre personnes pour remplir ces fonctions et vu que c'était la seule proposition, elles ont été élues d'office.

4. Enregistrement de la légalité de l'assemblée et quorum
Je n'ai pas exactement compris ce qu'il s'est passé là vu que ça a pris cinq secondes mais j'imagine qu'il s'agissait d'une simple formalité.

5. Enregistrement de la présence de l'assemblée et adoption de la liste des votes
A cette occasion, le président de séance nous a fait savoir que 36,5% des propriétaires d'actions étaient présents (ce qui contredit les 80% de votes déjà annoncés...  je n'ai pas tout compris).  Ca représente un million d'actions, quand même !  A comparer avec le fait que Jorma Ollila a annoncé en posséder 700 000 à lui tout seul...

6. Présentation des comptes annuels, rapport du Conseil d'Administration et rapport de l'Auditeur pour l'année 2010
Cette partie a simplement pris la forme d'un discours du nouveau PDG, Stephen Elop.  Et ce fut un vrai plaisir.  Il y a vraiment, dans les pays anglophones, une culture du discours qui n'existe pas en Europe.  Alors qu'Ollila lisait ses feuilles et récitait d'un ton très neutre, Elop nous a fait un beau discours agrémenté d'un joli powerpoint ; il était agréable à écouter, sa diction était impeccable, son discours enthousiaste et assez simple pour qu'on suive sans effort.  Il nous a parlé brièvement de sa famille, plus longuement des changements brutaux qui ont transformé le monde de la téléphonie, s'est attardé sur les choix qui ont mené au partenariat avec Microsoft. Un véritable plaisir à écouter, et apparemment ce ne fut pas que mon avis puisque certains intervenants l'ont remercié pour ça, l'un d'entre eux assurant même qu'on n'avait jamais entendu un si bel orateur en Finlande !
Son intervention a été suivie d'un grand nombre de questions et de remarques de la part de l'assemblée.  Elles étaient très variées et concernaient soit les projets futurs de Nokia ou sa stratégie (pas de grande annonce en exlu de ce côté-là j'en ai peur), soit les craintes des intervenants en tant qu'actionnaires ou, parfois, en tant qu'employés.  Elop a pris la peine de répondre à chacune des questions avec patience mais assez directement, avec un certain talent pour éviter de contredire directement l'interlocuteur ou pour vulgariser certains problèmes complexes. Il a aussi su faire preuve d'un enthousiasme contagieux pour sa stratégie et pour l'avenir de la société. Comme je l'ai dit, je pense que la majorité de l'assemblée était venue exclusivement pour le voir et l'entendre, et je pense qu'ils n'ont pas dû être déçus.

7. Adoption des comptes annuels
C'est une des prérogatives de l'AG que de valider les comptes, mais ils avaient déjà été approuvés par des auditeurs et leur aprobation n'a été qu'une formalité.

8. Résolution sur l'utilisation du profit relevé dans les comptes annuels et le payement de dividendes
L'AG a approuvé la distribution de 0,40 euros par action(qui en ce moment valent moins de 6 euros, un assez bon investissement !) sous forme de dividendes.  Ca donne un total de 1,5 milliard d'euros, dont l'affectation a été décidée en cinq minutes par l'AG.  J'aurais quand même été étonnée que les actionnaires refusent leur rémunération...

9.  Résolution sur la décharge de responsabilité des membres du Conseil d'Administration et du Président. 
C'est également une prérogative de l'AG : cela signifie que les actionnaires et la société approuvent a posteriori les actes du Conseil d'Administration posés en 2010 et renoncent à traduire ses membres en justice. Cela a fait l'objet de quelques interventions d'actionnaires qui tenaient responsable le précédent PDG d'une partie des problèmes actuels et avaient l'occasion d'exprimer publiquement leur mécontentement, mais la motion a bien sûr été acceptée.

10. Résolution sur la rémunération des membres du Conseil d'Administration
11. Résolution sur le nombre de membres du Conseil d'Administration
12. Election des membres du Conseil d'Administration.
Ces trois points ont été traités ensemble. La présidente du comité en charge de l'organisation du Conseil d'Administration (ou un truc dans ce genre-là) a expliqué que puisque la société passait par une péiode de remaniement intense, il devait en être de même du Conseil d'Administration. Deux membres le quittaient et ils proposaient d'en recruter quatre nouveaux pour porter le Conseil à 11 membres au total.  Les quatre candidats étaient Stephen Elop lui-même et trois directeurs de grosses entreprises connus qui se sont présentés sur vidéo. 

Ces points aussi ont fait l'objet de belles discussions ; certains se plaignaient de voir le PDG faire partie du Conseil d'Administration chargé de surveiller et évaluer son travail (ce que la présidente du comité a justifié en expliquant que sa présence leur permettrait d'avoir un aperçu sur le fonctionnement de la société de l'intérieur). Un nouveau candidat au Conseil d'Administration s'est présenté, un professeur en informatique qui semble avoir une solide expérience dans le domaine, et plusieurs intervenants ont soutenu sa candidature en disant qu'il était temps d'avoir un homme de terrain dans le Conseil d'Administration. C'est là que le président de séance a expliqué qu'il était inutile de passer aux votes étant donné que les quatres candidats avaient déjà été élus par les actionnaires majoritaires.  Du coup les trois motions concernant leur élection et rémunération ont été acceptées d'office.

13.  Résolution sur la rémunération de l'Auditeur
14.  Election de l'Auditeur
L'Auditeur est la société ou la personne qui se charge de vérifier les comptes de l'entreprise.  L'Auditeur est nommé par l'AG et payé par l'entreprise mais doit rester indépendant.  Dans le cas de Nokia, c'est l'entreprise PriceWaterhouseCoopers qui le fait depuis dix ans et le contrat a été renouvelé (après quelques questions mais peu de débat).

15. Autorisation pour le Conseil d'Administration d'acquérir des parts de la société
Apparemment il s'agit là d'une pratique habituelle : l'AG donne au Conseil d'Administration la permission d'acquérir des parts de la Nokia elle-même de façon à pouvoir s'auto-financer.  Je ne comprends pas exactement le principe mais il s'agit d'une autorisation qui a déjà été donnée l'année passée et qui n'a pas été utilisée.  Le directeur financier a dû venir plusieurs fois assurer les intervenants qu'il n'y avait aucun projet pour utiliser cette possibilité dans l'avenir, et la motion a été acceptée.

16. Distribution de stock-options à une partie du personnel de Nokia
A ce stade-là, la réunion durait depuis déjà 4h et je pense que tout le monde pensait comme moi : qu'on en finisse ! Il n'y a donc pas eu de débat.

17. Fin de l'AG
C'est là qu'on a pu enfin sortir.  Il ne restait de toutes façons plus qu'un tiers des participants, ou moins. J'étais plutôt contente d'avoir assisté à cette grand-messe un peu formelle, mais si elle n'était pas en soi de grande importance stratégique.  J'ai pris pas mal de notes au fur et à mesure, et si certains sont intéressés par le sujet et souhaitent poser quelques questions, les commentaires sont là pour ça  :)

2 comments:

  1. Très intéressant ton article, je l'ai lu jusqu'au bout, d'autant plus que je n'ai encore jamais pris la peine d'aller dans une AG de Nokia ;)
    Mr Ours est bien malin d'acheter des actions au moment où leur valeur est au plus bas ! Puisqu'il est de la partie (si j'ai bien compris), connaîtrait-il d'autres entreprises finlandaises dans la même situation sur lesquelles investir, histoire de diversifier le portefeuille ?

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  2. Il n'est pas vraiment "de la partie", il ne travaille pas dans l'investissement donc il n'a pas d'infos spécifiques. Je pense qu'en ce qui le concerne, il investit surtout dans de grandes entreprises cotées à la bourse d'Helsinki et qui représentent des valeurs sûres sur les marchés les plus importants : bois, acier, télécoms, ce genre de choses. Et je pense qu'il regarde surtout la valeurs des dividendes distribués et susceptibles d'être distribués par rapport au prix de l'action.

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