Sunday 27 November 2011

L'homme et le progrès

Si nous croyons que la machine abîme l'homme c'est que, peut-être, nous manquons un peu de recul pour juger les effets de transformations aussi rapides que celles que nous avons subies.  Que sont les cent années de l'histoire de la machine en regard des deux cent mille années de l'histoire de l'homme ?  C'est à peine si nous nous installons dans ce paysage de mines et de centrales électriques. C'est à peine si nous commençons d'habiter cette maison nouvelle, que nous n'avons même pas achevé de bâtir. Tout a changé si vite autour de nous : rapports humains, conditions de travail, coutumes.  Notre psychologie elle-même a été bousculée dans ses bases les plus intimes.  Les notions de séparation, d'absence, de distance, de retour, si les mots sont demeurés les mêmes, ne contiennent plus les mêmes réalités. Pour saisir le monde aujourd'hui, nous usons d'un langage qui fut établi pour le monde d'hier. Et la vie du passé nous semble mieux répondre à notre nature, pour la seule raison qu'elle répond mieux à notre langage.
Chaque progrès nous a chassés un peu plus loin hors d'habitudes que nous avions à peine acquises, et nous sommes véritablement des émigrants qui n'ont pas fondé encore leur patrie.

Ainsi écrivait Antoine de Saint-Exupéry en 1939 (Terre des Hommes, p. 50 de l'édition Folio). A l'époque, il parlait des machines et des avions. Et pourtant, ce qu'il dit est toujours tellement vrai, 60 ans après, quand le progrès a encore accéléré !

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