Quand j'étais petite, chaque été, nous étions invités à passer une journée en famille chez des cousins de mon papa. Mon frère, ma soeur et moi, nous étions les seuls enfants, et ce n'était pas franchement une partie de plaisir pour nous. Il fallait mettre de beaux vêtements et de nouvelles chaussures à ne pas salir, être sages, ne pas parler, sourire, supporter les moqueries d'un oncle un peu taquin dont on ne savait jamais s'il blaguait ou non... Je me souviens que je m'emmerdais prodigieusement. Je détestais ces jours-là, d'autant plus que j'avais nettement l'impression d'être totalement inutile. Personne ne voulait me voir, moi, c'était une affaire de grands, c'étaient mes parents qui étaient invités, et pourtant je devais venir moi aussi, pourquoi ? Je ne me privais pas de faire une scène avant de partir. Je me souviens qu'après m'avoir longuement expliqué les impératifs de la vie en société, en désespoir de cause, ma maman me répondait: "Quand tu seras adulte, tu verras qui tu voudras. Maintenant tu es une enfant, tu obéis et tu viens." Au final, la seule chose qui me rendait ces journées tolérables, c'était de me dire qu'un jour, je n'aurais plus à les subir.
Pourtant, à y regarder de près, je me retrouve chaque année dans la même situation à l'occasion de la fête des pères dans la famille Ours. J'y vais, sans en avoir envie, sans comprendre pourquoi il faut que j'y aille alors que c'est pas mon papa et que je ne fais pas partie de la famille; je m'ennuie prodigieusement, là aussi; je souris, je ne parle pas, j'écoute à peine, et quand j'entends qu'on parle de moi, je ne suis jamais sûre que ce soit en bien ou en mal; et surtout, je n'ai pas plus le choix que quand j'étais petite, parce que si je refuse de venir, je suis sûre de me mettre l'Ours à dos pour un temps illimité (et un ours, c'est lourd, au propre comme au figuré).
Pourtant cette fois-ci ce fut loin d'être aussi traumatisant que la première fois, et plus court que la seconde, puisqu'il y avait un match de hockey qui nous attendait juste après. N'empêche que c'est toujours pas marrant. Mr Ours devient particulièrement goujat dès qu'il se retrouve en territoire familial, allez comprendre pourquoi; soit il m'oublie dans un coin, soit il m'appelle sans arrêt pour l'aider à gauche et à droite. Son père était particulièrement de bonne humeur, ce que j'ai pu mesurer non pas à la taille de son sourire (son sourire est invisible, il ne se signale que par quelques rides supplémentaires près des yeux, c'est très bizarre comme phénomène) mais par le fait qu'il m'ait dit bonjour et au revoir (et rien au milieu). On lui a offert des pantoufles immondes, motif écossais, une marque finlandaise qui est paraît-il sa préférée alors que si on m'offrait la même chose à moi je me dirais que c'est une mauvaise blague, mais ça a eu l'air de lui plaire.
Après on est passés au café; j'ai eu le malheur d'accepter une tasse de café chez eux un jour, et depuis lors on ne me demande plus mon avis, on me sert d'office la tasse pleine de ce jus de chaussette amer assorti de sucres qui ne fondent pas, histoire de ne servir à rien. Moi j'ai souri, carressé les chats, souri, mangé du gâteau, souri... C'est important de se rappeler de sourire, parce qu'à force de se sentir invisible, on a tendance à oublier et à trop laisser voir à quel point on s'emmerde.
Un jour, je parlerai finnois et je me sentirai à l'aise avec eux (on peut toujours rêver). Ce jour-là je téléphonerai moi-même pour leur présenter une excuse très plausible le jour où j'ai pas envie de les voir, vu que leur fils se refuse obstinément à leur raconter la moindre carabistouille sans importance. Ce jour-là je les ferai peut-être un peu rire et ils se diront avec étonnement: "mais elle a de la personnalité cette poupée-là !". Ce jour-là, j'aurai enfin l'impression d'exister un peu à leurs yeux, et peut-être même que je ne devrai plus me forcer pour sourire.
Et ce jour-là, je leur apprendrai à faire le café.
Pourtant, à y regarder de près, je me retrouve chaque année dans la même situation à l'occasion de la fête des pères dans la famille Ours. J'y vais, sans en avoir envie, sans comprendre pourquoi il faut que j'y aille alors que c'est pas mon papa et que je ne fais pas partie de la famille; je m'ennuie prodigieusement, là aussi; je souris, je ne parle pas, j'écoute à peine, et quand j'entends qu'on parle de moi, je ne suis jamais sûre que ce soit en bien ou en mal; et surtout, je n'ai pas plus le choix que quand j'étais petite, parce que si je refuse de venir, je suis sûre de me mettre l'Ours à dos pour un temps illimité (et un ours, c'est lourd, au propre comme au figuré).
Pourtant cette fois-ci ce fut loin d'être aussi traumatisant que la première fois, et plus court que la seconde, puisqu'il y avait un match de hockey qui nous attendait juste après. N'empêche que c'est toujours pas marrant. Mr Ours devient particulièrement goujat dès qu'il se retrouve en territoire familial, allez comprendre pourquoi; soit il m'oublie dans un coin, soit il m'appelle sans arrêt pour l'aider à gauche et à droite. Son père était particulièrement de bonne humeur, ce que j'ai pu mesurer non pas à la taille de son sourire (son sourire est invisible, il ne se signale que par quelques rides supplémentaires près des yeux, c'est très bizarre comme phénomène) mais par le fait qu'il m'ait dit bonjour et au revoir (et rien au milieu). On lui a offert des pantoufles immondes, motif écossais, une marque finlandaise qui est paraît-il sa préférée alors que si on m'offrait la même chose à moi je me dirais que c'est une mauvaise blague, mais ça a eu l'air de lui plaire.
Après on est passés au café; j'ai eu le malheur d'accepter une tasse de café chez eux un jour, et depuis lors on ne me demande plus mon avis, on me sert d'office la tasse pleine de ce jus de chaussette amer assorti de sucres qui ne fondent pas, histoire de ne servir à rien. Moi j'ai souri, carressé les chats, souri, mangé du gâteau, souri... C'est important de se rappeler de sourire, parce qu'à force de se sentir invisible, on a tendance à oublier et à trop laisser voir à quel point on s'emmerde.
Un jour, je parlerai finnois et je me sentirai à l'aise avec eux (on peut toujours rêver). Ce jour-là je téléphonerai moi-même pour leur présenter une excuse très plausible le jour où j'ai pas envie de les voir, vu que leur fils se refuse obstinément à leur raconter la moindre carabistouille sans importance. Ce jour-là je les ferai peut-être un peu rire et ils se diront avec étonnement: "mais elle a de la personnalité cette poupée-là !". Ce jour-là, j'aurai enfin l'impression d'exister un peu à leurs yeux, et peut-être même que je ne devrai plus me forcer pour sourire.
Et ce jour-là, je leur apprendrai à faire le café.
Récit très drôle, je ne connaissais pas le mot carabistouille.
ReplyDeleteTout ça te donne une motivation supplémentaire pour apprendre le finnois ;-)
drôle à première vue mais pas tant que ça finalement. Se sentir étrangère dans une famille qui est quand même un peu la sienne, c'est un peu dur dur. Mais très beau billet en tout cas.
ReplyDelete@Scribe: je suppose que c'est du belge ;)
ReplyDelete@Valérie: justement, ce n'est pas ma famille, que je sache... Je suis sûre qu'ils n'ont pas envie de me voir d'ailleurs, ils m'invitent par politesse et peut-être parce qu'ils pensent que comme on est toujours ensemble, leur fils ne pourrait pas vivre une heure sans moi. D'un autre côté, le fils en question m'oblige à venir parce que comme ses parents m'invitent, il pense qu'ils ont envie de me voir. Tout ceci n'est qu'un immense malentendu :D
Le fait qu'ils ne parviennent pas à communiquer avec toi (et je ne parle pas seulement de la langue) ne veut pas forcément dire qu'ils ne t'aiment pas.
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